Pour en finir avec les classes moyennes

C’est peu de dire que le capitalisme mène depuis des années, et avec un certain succès, la bataille culturelle. Pas nés d’hier, nous pouvons le mesurer. Il a réussi à imposer, dans les discours politiques, ses propres termes et ses propres enjeux. Depuis la chute du mur de Berlin, l’antienne de Francis Fukuyama, selon laquelle « le communisme est mort, le capitalisme a gagné, l’histoire est finie » a contaminé jusqu’à la social-démocratie. Pour parachever son combat idéologique, il remet en exergue aujourd’hui une création purement politique : les classes moyennes. Là encore, une certaine partie de la gauche tombe dans le panneau et reprend à son compte ces éléments de langage. La dernière preuve en date demeure l’intervention de François Hollande, candidat du social-libéralisme, jeudi 26 janvier, dans l’émission Des Paroles et des actes.

Mais que sont les classes moyennes ? Selon les sociologues qui donnent du crédit à cette création politique, elles sont définies ainsi : « La dite classe moyenne rassemble un ensemble populations hétérogènes, situées au-dessus des classes pauvres et en-dessous des classes aisées ». Mais de reconnaître aussitôt que « la question de sa définition exacte reste délicate et explique que l’on parle aussi « des » « classes moyennes ». Les critères majeurs de définition restant le niveau de vie et l’appartenance ressentie à un statut social, il est patent que la notion varie suivant les pays et dans le temps. »

Cette difficulté à préciser la nature des classes moyennes, à en définir les contours, est encore illustrées dans l’approche du niveau de vie pour la définir. Généralement, elle inclue les individus d’un revenu allant de 1 300 € nets par mois (soit le revenu médian des salariés à temps plein en France) à 3 000 € nets par mois. De son côté, l’Observatoire des inégalités estime : « Les classes moyennes correspondent aux salariés gagnant entre 1 200 et 1 840 euros nets par mois ». Dernière illustration en date de la complexité que recouvre l’appellation « classes moyennes », sur touittère, le quotidien gratuit 20 Minutes sollicite les touitos (genre neutre, pas de machisme déguisé) pour tenter de cerner le phénomène. Enfin, selon l’Union pour une majorité patronale (UMP), les classes moyennes « gagnent autour de 9 000 euros nets mensuels par ménage ». Ouf, ça va, je suis bien membre de la classe ouvrière !!! Merci les amis.

Il n’y a donc pas de définition scientifique partagée de la classe moyenne, parce qu’elle est d’abord une construction politique, axée sur le sentiment d’appartenance à un statut social différent de la classe ouvrière (j’entends par là ouvriers et employés). Ce sentiment se nourrit de pratiques, pour beaucoup culturelles : aller au cinéma, au théâtre, aux concerts… Il s’alimente de choix de vie, comme celui de consacrer une part sensible de son budget à des domaines qui ne relèvent pas de la survie. Le « bo-bo » est l’illustration parfaite de cette construction politique qu’est la « classe moyenne ». Un mouvement de mode, créé par l’oligarchie et relayé par les médias à son service. Dans le seul but de diviser la classe ouvrière.

Cette pratique remonte à loin : dès les années 30, les idéologues au service des « 200 familles » et une partie de la social-démocratie ont mis en avant ce concept, dans une période de montée du mouvement révolutionnaire. La paupérisation de la partie la plus aisée de la classe ouvrière, menacée de rejoindre les rangs du lumpenproletariat (le « prolétariat en haillons », selon le mot de Marx pour désigner les travailleurs pauvres), avait pour conséquence de radicaliser cette frange de la population composée d’ouvriers à très haut niveau de culture mais aussi de maîtrise du métier, de fonctionnaires, d’artisans… au point de les jeter dans les bras des partis communistes. La création du concept de « classe moyenne » permettait alors de leur faire croire qu’ils avaient un statut particulier, que leur expérience particulière, leurs responsabilités spécifique, leurs comportements sociaux, leurs habitudes de consommation, les différenciant radicalement des ouvriers cantonnés au stade de la simple survie, du prolétariat, et de les inciter à penser que leurs intérêts étaient antagonistes. Résultat de ce travail : les membres de cette créature politique ont rejoint les rangs des organisations fascistes. Toute ressemblance avec ceux qui se produit aujourd’hui n’est pas fortuite.

Dans les faits, les premiers prémices de la création de la classe moyenne, instrument de division de la classe ouvrière, remontent même au 19e siècle avec ce qu’il était convenu alors d’appeler les « petits bourgeois ». Mais cette différenciation a fait long feu puisque bon nombre de ces petits bourgeois ont, contrairement aux attentes des idéologues réactionnaires, formé les bataillons d’élite du mouvement révolutionnaire, notamment sous la Commune de Paris.

Pour ma part, marxiste convaincu, je défends l’idée qu’il n’y a pas de classe moyenne mais un prolétariat, une classe ouvrière très large, mais précisément définie : c’est la classe sociale qui, pour avoir de quoi vivre, est obligée de vendre sa force de travail à la classe antagoniste qui dispose du capital et des moyens matériels de production. Les membres de la classe ouvrière ont en commun, quel que soit leur statut ressenti, de produire la plus-value qui leur est accaparée par les propriétaires de l’outil de production. Elle rassemble donc autant les ouvriers, les contre-maîtres, les ingénieurs, les techniciens que les cadres. Il en va même jusqu’aux artisans, aux paysans, qui n’ont de possibilité de vivre qu’en vendant leur maigre production à un chef d’entreprise plus important. Cela a un nom : l’exploitation.

Reste que cette appartenance de classe ne se décrète plus, elle procède aujourd’hui d’une acceptation volontaire. D’où l’importance de la culture de classe : le fait de choisir son camp, dans la lutte à mort à laquelle se livrent, depuis des siècles, les possédants et les possédés pour la domination du monde. J’ai choisi mon camp. Et toi ami lecteur ?

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À propos de Nathanaël Uhl

Journaliste politique, passionné de musiques, supporter de l'Olympique de Marseille et du Liverpool FC, grand amateur de littérature et notamment de polar. Mon blog est aussi un hommage au journal "Le Cri du peuple" créé par Jules Vallès pendant la Commune de Paris. Voir tous les articles par Nathanaël Uhl

4 responses to “Pour en finir avec les classes moyennes

  • Rolf Lott

    les forces du progrès ne font toujours pas assez attention à l’écart des salaires, donc de la dispersion et écarts des revenues des différentes parties du prolétariat (bravo pour rétablissement de la définition correcte dans l’article!)! Les capitalistes par contre y veillent avec beaucoup de considération! exemple: l’augmentation des salaires en pourcentage qui creuse chaque fois l’écart entre les salaires plus élevés et les bas salaires! Je me rappelle du jeux du « chat et souris » en Allemagne à chaque « Tarifrunde » (période de négociation des salaires entre patronat et syndicats). Dans les entreprises les unités du syndicat décident les plus souvent des revendications pour l’augmentation fixe ou pourcentage et minimum garantie. Au niveau régionale les syndicats décident une revendication mixte (pourcentage + fixe) et au niveau nationale les directions des syndicats entrent dans les négations avec une revendication pourcentage ou mixte « assoupli » pour presque toujours conclure en pourcentage. Dans les années 70 la mobilisation à la base grâce au niveau plus élevés et fondue de l’argumentation on arrivait à 4 reprises (2 fois dans le secteur service publique, une fois dans la métallurgie et une fois dans le secteur chimie) que le syndicat rendait dans les négociations avec une revendication fixe (style 100 Mark de plus pour tous, je ne me rappelle plus du montant exact). Le « Tarifvertrag » (contrat sur le montant des salaires) conclu dans les 4 cas était soit complètement en pourcentage ou en pourcentage avec une faible partie en fixe pour tous. Pas de surprise jusqu’à là, mais si on calculait la somme à dépenser en plus pour les capitalistes celle ci était plus élèvée en fait que aurait était une conclusion au montant demandé. Donc les capitalistes sont même prêts d’ aller jusqu’à payer pour maintenir et agrandir l’écart des revenues des différents parties du prolétariat pour pouvoir mieux les diviser et manipuler! Donc l’invention des « middle classes » n’est pas seulement un manoeuvre idéologique, mais aussi résultat d’une politique économique réfléchie et planifiée! Les fond pour se financer ce « lux » les capitalistes et leur état prennent de leur extra-profits qu’ils tirent des l’exploitation des pays du dite « tiers monde ». Pour considerér cet aspect là il faut peut-être renvoyer à la lecture de Lénine « L’impérialisme… » ou il examinait déjà le phénomène de ce qu’est appelé « classes moyennes » aujourd’hui.
    Petite remarque: je crois bien que la définition du « Lumpenproletariat » comme « partie la plus pauvre des travailleurs » n’est pas correctement donnée dans l’article: je n’ai pas les textes à citer sous la main, mais comme « sous-prolétariat » est définit les parties de la population des non possédants qui sont entièrement ou partiellement exclus de la production, dispersés, sans perspectives et séparés de la partie organisée dans la production, bon bref… même dans le manifest c’est définit mieux… 😉

  • despasperdus (@despasperdus)

    Voilà un billet qui remet les pendules à l’heure.

    J’ajouterai que la notion de classe moyenne – maintes fois évoquées, a permis à la sarkozie de baisser les impôts des plus riches pour saccager les services publics.

  • gauchedecombat

    putain de bon billet ! félicitations le gars ! et dire, oui, que les classes moyennes, concept indéfini allant de2000 à + 5000 euros/mois, se plaignent de subir les effets de la rigueur… Mais que faisaient-telles, aux temps chauds, quand les autres crevaient ?

  • strummer

    Bon billet qui me donne encore plus envie de me taper la lecture du Capital.
    Il me semble que les appellations du type Bo-Bo (BOurgeois-BOhème) sont générées par une société d’études (le CCA= Centre de Communication Avancée) qui produit des études destinées entre autres aux publicitaires. La société est découpée en « styles de vie » qui se caractérisent par des habitudes de consommation proches. Cela permet aux publicitaires de connaître les cibles intéressantes pour chaque type et/ou gamme de produits.
    Quand je dis consommation, il s’agit au sens large de consommation de produits manufacturés comme de services ou de biens culturels.
    Ces études sont en général reprises par les news magazines, ça leur permet de faire un papier genre « décryptons la société à travers ses nouvelles tendances ». Et comme les lecteurs des news sont plutôt dans les groupes les plus « intéressants » (en terme de consommation, parce que dotés d’un pouvoir d’achat élevé) ça les flatte.
    De plus, ça se diffuse dans les media, qui finissent par imposer cette lecture publicitaire de la société.