Le soleil éternel de l’Affiche rouge

C’était il y a 68 ans, jour pour jour. Je ne sais pas s’il faisait beau ce jour-là dans la matin blême du Mont-Valérien. L’on sait que la haine de soi, fille de la haine de l’autre, a craché ses salves meurtrières brisant l’élan de vie de 22 camarades immigrés qui se battaient pour la France. Ces camarades, membres des Francs-tireurs et partisans (FTP) de la Main d’œuvre immigrée (MOI), ont été immortalisés par l’Affiche Rouge. Sur les 22, en voici quelques uns que les nazis ont voulu jeter à la vindicte du peuple et que ce peuple a transformé en héros :

  • « Grzywacz – Juif polonais, 2 attentats »,

  • « Elek – Juif hongrois, 8 déraillements »,

  • « Wajsbrot – Juif polonais, 1 attentat, 3 déraillements »,

  • « Witchitz – Juif polonais, 15 attentats »,

  • « Fingerweig – Juif polonais, 3 attentats, 5 déraillements »,

  • « Boczov – Juif hongrois, chef dérailleur, 20 attentats »,

  • « Fontano – Communiste italien, 12 attentats »,

  • « Alfonso – Espagnol rouge, 7 attentats »,

  • « Rajman – Juif polonais, 13 attentats »,

  • « Manouchian – Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés ».

Voici la liste complète des condamnés du groupe Manouchian, dont 22 sont fusillés le 21 février 1944 ; la mention (AR) signale que le nom figure sur l’Affiche rouge :

  • Celestino Alfonso (AR), Espagnol, 27 ans
  • Olga Bancic, Roumaine, 32 ans (seule femme du groupe, décapitée en Allemagne le 10 Mai 1944 )
  • József Boczor (AR), Hongrois, 38 ans – Ingénieur chimiste
  • Georges Cloarec, Français, 20 ans
  • Rino Della Negra, Italien, 19 ans
  • Thomas Elek (AR), Hongrois, 18 ans – Étudiant
  • Maurice Fingercwajg (AR), Polonais, 19 ans
  • Spartaco Fontano (AR), Italien, 22 ans
  • Jonas Geduldig, Polonais, 26 ans
  • Emeric Glasz, Hongrois, 42 ans – Ouvrier métallurgiste
  • Léon Goldberg, Polonais, 19 ans
  • Szlama Grzywacz (AR), Polonais, 34 ans
  • Stanislas Kubacki, Polonais, 36 ans
  • Césare Luccarini, Italien, 22 ans
  • Missak Manouchian (AR), Arménien, 37 ans
  • Armenak Arpen Manoukian, Arménien, 44 ans
  • Marcel Rayman (AR), Polonais, 21 ans
  • Roger Rouxel, Français, 18 ans
  • Antoine Salvadori, Italien, 24 ans
  • Willy Szapiro, Polonais, 29 ans
  • Amédéo Usséglio, Italien, 32 ans
  • Wolf Wajsbrot (AR), Polonais, 18 ans
  • Robert Witchitz (AR), Français, 19 ans

Ils n’étaient, avant la guerre, que des prolétaires, des ouvriers, des poètes. L’invasion et la barbarie nazies les ont mués en combattants de la liberté. Pour eux, pas d’identité nationale. Comme le rappe Duval MC, leur identité était politique : communistes ; empreints de fraternité, d’amour pour son prochain ; fiers de leur idéal. Dans leur groupe, si j’en crois les écrits de Didier Daeninckx sur le sujet, il y avait même un trotskiste. Que lui aussi soit le bienvenu dans notre mémoire collective.

Ces hommes et cette femme avaient cru trouver en France – ce pays qu’ils aimaient tant comme le rappelle l’ami Despasperdus – l’asile d’une vie nouvelle, où le pays d’origine, la religion et les opinions politiques n’avaient pas plus d’importance que la couleur du pantalon un jour de labeur ordinaire. Je ne suis pas certain qu’ils avaient eu à passer un humiliant examen de maîtrise du français. La plupart d’entre-eux le maniaient au demeurant fort bien, qui utilisaient la langue de Zola pour parler à leurs frères travailleurs de l’émancipation, de la libération de la classe ouvrière par elle-même, du communisme, ce soleil du monde.

Ils étaient, ils sont, ils resteront à jamais, le visage à multiples mines juvéniles et déterminées de cette France forte de sa diversité, riche de ses engagements, belle de sa perpétuelle rébellion. Je ne sais pas s’il faisait beau ce matin triste du 21 février 1944 et si leur refus d’avoir les yeux bandés les a amenés à cligner de l’oeil devant la lumière. Mais l’Affiche rouge fait à jamais resplendir le soleil d’espoir allumé par les 23.

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Bonus vidéo : A2C « L’Affiche rouge »

À propos de Nathanaël Uhl

Journaliste politique, passionné de musiques, supporter de l'Olympique de Marseille et du Liverpool FC, grand amateur de littérature et notamment de polar. Mon blog est aussi un hommage au journal "Le Cri du peuple" créé par Jules Vallès pendant la Commune de Paris. Voir tous les articles par Nathanaël Uhl

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